Sebastian Manciaux
Maitre de Conférences HDR,
Université de Bourgogne- Franche Comté, CREDIMI
Dans de très nombreux États, la crise de la Covid 19 a mis sur le devant de la scène la question de la souveraineté pharmaceutique. Les pénuries de matériel médical, de médicaments, la question de la disponibilité des vaccins ont nourri de nombreux débats. Les causes identifiées sont multiples, à commencer par les profondes mutations des industries de santé sur ces trente dernières années qui se sont traduites par une concentration des laboratoires et une fragmentation de l’industrie. De nombreuses délocalisations ont été opérées (80% des substances actives de médicaments commercialisés en Europe n’y sont plus fabriqués mais proviennent d’Asie), exposant un grand nombre d’États au risque des ruptures de chaînes d’approvisionnement, autre produit de la globalisation.
La réponse apportée à cette situation consiste, notamment en Europe et en France, à proposer une politique volontariste axée sur la relocalisation d’un certain nombre d’entreprises pharmaceutiques.
Au-delà de la pertinence économique de cette politique, sa compatibilité juridique avec les engagements internationaux des États souscrits dans les accords d’investissement interroge. La globalisation de l’économique et les délocalisations d’industries, pas seulement pharmaceutiques, se sont en effet appuyés sur le réseau des traités internationaux en matière d’investissement. Ces derniers favorisent une libre concurrence au niveau mondial en assurant la mobilité internationale des facteurs de production (et donc leur localisation dans les endroits les plus attractifs économiquement qui se situent souvent en Asie) et leur protection contre les mesures étatiques susceptibles de leur porter atteinte.
Aujourd’hui, la question se pose donc de savoir si les obligations énoncées par ces traités ne s’opposeraient pas aux politiques de relocalisation annoncées. La question est d’importance au niveau mondial, mais plus encore dans la zone Asie-Pacifique qui a attiré de nombreuses entreprises pharmaceutiques et qui peut désormais craindre un retour de balancier.
Il est alors d’abord envisagé d’étudier si les politiques de relocalisation de l’industrie pharmaceutiques -comprises comme des politiques de santé publique- font l’objet d’une attention particulière dans les accords d’investissements de la zone Asie-Pacifique ainsi que dans les accords du même type conclus entre ces États et l’Union européenne. Il est ensuite proposé de voir si les obligations matérielles contenues dans ces accords pourraient être utilisées par les États de la zone Asie-Pacifique à la fois pour s’opposer au départ des usines pharmaceutiques implantées sur leur sol et pour renforcer leur propre souveraineté en ce domaine.