Quoc Chien NGO
Directeur du département des droits fondamentaux,Faculté de droit,
Ecole supérieure de commerce extérieur, Hanoï
Cam Tu Vo Nguyen,
Sécretaire du Tribunal,
The Arbitration Chambers, Singapour
En 1986, la réforme économique Doi Moi, signifiant renouveau, a été initiée par le Parti communiste vietnamien. À partir de cette date, l'économie de marché a été autorisée, voire encouragée. Depuis lors, le Vietnam est passé d'une économie planifiée rigide et axée sur l’agriculture à une économie d’industrie et de service basée sur le marché. En 2023, cet État a une population jeune, un système politique stable, un engagement en faveur d'une croissance durable (environ 8% en 2022), une inflation relativement faible (3,15% en 2022)[1] et une monnaie stable. La réforme lancée il y a plus de trente ans a stimulé la croissance et le développement économique du Vietnam, transformant ainsi l'un des pays les plus pauvres du monde en un pays à revenu intermédiaire (4.162 USD[2]). Le Vietnam est aussi l’une des économies d'Asie les plus ouvertes au commerce international. Il a signé nombre d’accords d’investissements et d’accord de libre échange de nouvelle génération, ce qui lui a permis d’augmenter rapidement le volume des échanges commerciaux internationaux[3].
Parallèlement à la croissance des échanges commerciaux internationaux, l’on constate une augmentation fulgurante des litiges, ce qui conduit à la surcharge des tribunaux étatiques. Or, très peu d’opérateurs économiques vietnamiens optent pour l’arbitrage. Une étude réalisée en 2022 par le professeur Van Dai DO fait savoir que les entreprises vietnamiennes sont réticentes à recourir à l’arbitrage ; et si celles-optent néanmoins pour ce mode de règlement des conflits, elles choisissent de recourir à l’arbitrage étranger, notamment à Singapour et à Hong Kong. Cette réticence n’est pas souhaitable pour le Vietnam[4]; surtout au vu de la Décision no 1268/QĐ-TTg en date du 2 octobre 2019 du Gouvernement vietnamien, portant approbation du Projet de modernisation du droit du contrat et du règlement des litiges contractuels par voie arbitrale et de conciliation, qui ordonne à ses organes de bien étudier cette branche juridique afin de rendre l’arbitrage vietnamien plus attractif.
Une des raisons qui explique ce manque d’attractivité de l’arbitrage est l’ambiguïté de la législation vietnamienne relative à l’arbitrabilité et son interprétation souvent trop sévère par le juge étatique. En effet, l’article 2 de la Loi sur l’arbitrage commercial utilise la méthode positive en listant des litiges “ouvrables” à l’arbitrage. Or, cette liste à la fois rigide et vague (lorsqu’elle renvoie aux textes spéciaux), pose bien des difficultés dans la pratique, ce qui constitue une insécurité juridique et décourage les opérateurs économiques[5]. Une réforme du droit de l’arbitrage s’impose de fait.
Deux grandes questions se posent alors. La première est de savoir dans quels cas l’Etat, qui a lui-même permis la naissance et le développement de l’arbitrage, voudra le limiter, et pour quelles raisons. La seconde est de savoir si l’attribution d’une compétence étatique exclusive constitue un critère d’inarbitrabilité. C’est une question digne d’être posée car elle a suscité des difficultés notables dans la pratique. Par arbitrabilité, l’on distingue arbitrabilité subjective et arbitrabilité objective. L’arbitrabilité subjective se pose lorsque l’arbitrage est contestée à l’égard de l’une des parties, en raison de sa qualité ou d’une mission particulière qui lui interdirait de se soumettre valablement à la justice arbitrale. Cette limite concerne essentiellement l’Etat et les organismes publics. L’arbitrabilité objective, quant à elle, concerne l’aptitude d’un litige à faire l’objet d’un arbitrage. Si le débat sur l’arbitrabilité subjective est pratiquement dépassé dès lors que la solution est apportée par des règles matérielles tant en France qu’au Vietnam, il n’en va pas de même pour l’arbitrabilité objective qui, dans de nombreux pays, suscite des débats importants. C’est donc elle seul qui nous intéresse dans le cadre de cette étude.
Nous tentons d’y apporter des réponses en comparant le droit vietnamien avec le droit français et le droit singapourien. Si nous choisissons le droit français et le droit singapourien, c’est parce que ces deux pays ont opté pour un libéralisme arbitral et que l’arbitrage y est très développé, ce qui nous permettra de dégager des solutions pour le Vietnam. Notre étude sera sans doute intéressante pour les praticiens dans la mesure où elle leur fournira des pistes de solutions quand ils auront à répondre à la question d’arbitrabilité eu égard au droit vietnamien, français ou singapourien.
La problématique et la méthode ainsi présentées, nous déclinons nos axes de réflexions de la manière suivante:
Plan (provisoire)
- Introduction (questions préliminaires: principe compétence-compétence; loi applicable à l’arbitrabilité[6]).
- Les critères généraux d’arbitrabilité
2.1. Méthode positive (Vietnam)
La loi liste expressément des litiges ouvrables à l’arbitrage. Cette liste est-elle trop fermée? Qu’en sera-t-il des litiges ne figurant pas sur la liste? Faut-il élargir cette liste afin de rendre plus attractif l’arbitrage comme l’ont fait les systèmes favor arbitrandum?…..
2.2. Méthode négative (France)
Les articles 2059 à 2061 du code civil: indisponibilité des droits; violation de l’ordre public
2.2. Méthode mixte (Singapour)
Article 11.1 de la loi sur l’arbitrage international dispose que « tout différend que les parties ont convenu de soumettre à l'arbitrage en vertu d'une convention d'arbitrage peut être tranché par arbitrage à moins qu'il ne soit contraire à l'ordre public de le faire. »
En 2019, la loi sur l’arbitrage international a été révisée afin d’inclure expressément la possibilité pour les différends afférents à la propriété intellectuelle puissent également être résolus par voie arbitrale (Parties 2A, Article 26B).
- L’inarbitrabilité en faveur de la compétence d’un juge étatique?
Question récurrente dans les trois pays à savoir si les litiges portant sur un bien immobilier sont-ils arbitrables ?
[1] https://vneconomy.vn/tang-truong-gdp-ket-qua-2022-ky-vong 2023.htm#:~:text=(3)%20%C4%90%E1%BA%B7c%20bi%E1%BB%87t%20n%C4%83m%202022,v%E1 %BB%A5%20t%C4%83ng%209%2C99%25.
[2] Selon les estimations du FMI. https://kinhtetrunguong.vn/kinh-te/kinh-tet-vi-mo/gdp-binh-quan-viet-nam-nam- 2000-xep-thu-173-200-the-gioi-nam-2022-thay-doi-the-nao- .html#:~:text=Ngu%E1%BB%93n%3A%20IMF.,th%E1%BB%A9%20117%20tr%C3%AAn%20th%E1%BA %BF%20gi%E1%BB%9Bi%20.
[3] Le volume des échanges commerciaux représe 185% de son DIP en 2022. https://mof.gov.vn/webcenter/portal/vclvcstc/pages_r/l/chi-tiet-tin?dDocName=MOFUCM242367
[4] Đỗ Văn Đại, Phương thức giải quyết tranh chấp bằng trọng tài trong bối cảnh hội nhập kinh tế quốc tế, Nxb Hồng Đức, tr. 15-16.
[5] V. par ex. Ngô Quốc Chiến và Nguyễn Hoàng Anh, “Trọng tài thương mại quốc tế và vấn đề luật áp dụng”, Tạp chí Nghiên cứu Lập pháp, số 1 (425) tháng 1/2021, tr. 21-29; Đỗ Văn Đại (chủ biên), Giao dịch dân sự về bất động sản, Nxb Hồng Đức, Chương 38.
[6] Singapour : arrêt Anupam Mittal v Westbridge Ventures II Investment Holdings [2023] SGCA 1 dans lequel la Cour d’Appel de Singapour confirme qu’à Singapour, la loi gouvernant la convention d’arbitrage et la loi du siège sont pertinents pour la détermination de l’arbitrabilité d’un différend