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[Thierry Pairault] Financements Chinois Et Influence Française En Afrique

Thierry Pairault

Directeur de recherche émérite (CNRS - Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales )

Centre d'études sur la Chine moderne et contemporaine 

 

Le pivotement des relations économiques occidentales vers l’Asie-Pacifique n’est pas un phénomène récent puisque le Japon puis plus récemment la Chine ont joué un grand rôle dans cette évolution progressive. Ce qui inaugurerait une nouvelle ère serait bien plutôt un basculement des pays asiatiques vers l'Afrique, certes avec une ampleur pour la Chine considérablement plus importante que pour le Japon, voire pour l’Inde. Les résultats obtenus par la Chine ont à l’évidence affecté l’influence que les puissances occidentales pouvaient encore exercer sur leurs anciennes colonies d’Afrique.

Les paramètres à prendre en compte pour juger de l’influence d’un pays peuvent changer selon le point de vue auquel on se place (Afrique continentale ou subsaharienne, Afrique francophone, anglophone, lusophone…), selon la période considérée, sans compter la disponibilité des données. Nous distinguons nettement l’accessibilité de la disponibilité des données statistiques. Pour des raisons de secret financier réclamé tant par les créanciers que les débiteurs, certaines données disponibles ne sont pas rendues accessibles par la Banque mondiale. La divulgation de certaines données en 2019 a eu pour but de faire pression sur la Chine. Puis, profitant de la crise du Covid, la publication de données relatives à l’endettement des pays éligibles à l’initiative de suspension du service de la dette à son tour visait à faire pression sur les débiteurs comme sur les créanciers pour qu’ils négocient des restructurations. Tous ces éléments expliquent les difficultés qu’il y a à rendre compte de l’évolution d’une influence économico-financière qui, de surcroît, n’est un sujet d’intérêt intellectuel que pour un nombre très limité de personnes.
Là où nous pouvons penser que l’influence française soit la plus marquante est celle qui peut encore s’exercer dans ses anciennes colonies – autrement dit un espace plus restreint que l'Afrique francophone – principalement dans celles d’Afrique subsaharienne. Les données de la Banque mondiale qui relèvent l’endettement des pays d’Afrique subsaharienne de 2012 à 2021 ont été rendues disponibles sous une forme relativement désagrégée dans une base de données en ligne à https://databank.worldbank.org/source/world-development-indicators. L’année 2012 marque un tournant puisque c’est l’année où la Chine rejoint la France par l’importance de ses créances africaines. Dans la contribution que nous soumettons, la période 2012-2021 sera donc retenue pour apprécier l’évolution récente de l’influence française dans ses dix-sept anciennes colonies subsahariennes (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d'Ivoire, Djibouti, Gabon, Guinée, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad et Togo).  

Dans notre contribution nous nous proposons d’établir un état de l’endettement de ces pays pour en tirer une appréciation de l’évolution de l’influence chinoise au détriment de la française. Nous suivons la tradition méthodologique de l’institutionnalisme classique qui repose sur une exploitation des faits : « juste les faits », comme disait Paul Krugman citant Sergeant Friday, ou encore « chercher la réalité dans les faits » comme conseillait Deng Xiaoping reprenant à son compte une catachrèse traditionnelle. Nous ferons donc le « choix de la description » au sens d’Amartya Sen et, tant que faire se peut, de la neutralité axiologique.